Cet homme était agent des chemins de fer. Il est devenu un des hommes les plus riches de Paris.
- Florian Chiron
- 18 févr.
- 4 min de lecture
C'est un dégénéré.
On ne présente plus Georges Duroy, alias Bel-Ami.
Aujourd'hui, je démonte le mythe. Ce (anti-)héros de littérature, fascinant uniquement grâce à la plume de Maupassant, est l'un des responsables de la vision bien française sur l'argent : la richesse est forcément suspecte.
Replaçons Bel-Ami dans son contexte : Maupassant, maître du réalisme, livre une critique implacable de l'ascension sociale et financière au XIXe siècle. Et il nous donne, malgré lui, quelques leçons brutales sur l'enrichissement.
1. Derrière toute fortune, une arnaque ?
Si Duroy devient riche à la fin du roman, ce n'est certainement pas grâce à son travail. Son ascension repose sur une exploitation méthodique de son entourage.
Prenons quelques exemples : il épouse la femme de son meilleur ami… mort quelques jours plus tôt. Meilleur ami qui, soit dit en passant, lui avait trouvé un emploi et pour lequel il s'est montré totalement incompétent. Et ce n'est que le début. Il épouse ultimement la fille de son grand patron (et de sa maîtresse), en manipulant tout le monde, chantage inclus.
Logiquement, des millions de Français ayant lu Bel-Ami en ont retenu une leçon simple : l'acquisition de la richesse n'est jamais totalement honnête.
2. Mariage, chantage et manipulation : la recette du succès ?
Comment s'assurer une ascension financière rapide ? Duroy a sa méthode :
• Manipuler les sentiments,
• Séduire des femmes influentes (et plus riches que soi),
• Voler un héritage avec des prétextes bidons,
• Utiliser la gendarmerie pour divorcer à bon compte… et en sortant encore plus riche,
• Kidnapper une gamine (oui, littéralement) pour forcer ses parents à accepter un mariage.
Tout y est : calcul, machiavélisme et absence totale de scrupules.
Avec un tel modèle, comment s'étonner que des générations de Français aient développé l'idée qu'un homme devenu riche ne peut être qu'un voleur ou un escroc ?
3. Magouilles et absence d'éthique : une carrière bien gérée
Duroy n'a aucun plan de carrière. Il avance uniquement grâce aux circonstances… et à son absence totale de principes.
Tout commence par un coup de chance : il croise un ancien camarade de régiment alors qu'il est sans le sou, comptant ses derniers centimes avant de pouvoir s'offrir une bière.
Ensuite, il s'arrange pour que les autres fassent son travail à sa place (merci Madeleine Forestier). Puis, il séduit la femme du patron, ce qui lui permet de gravir encore un échelon. Il couvre aussi un énorme scandale d'abus d'initiés, garantissant ainsi sa place parmi les puissants.
Aucune hésitation non plus à faire surprendre sa propre femme en adultère par les gendarmes, juste après être sorti du lit de sa maîtresse. Une maîtrise parfaite du cynisme et de la stratégie sociale.
Bref, Bel-Ami renforce un mythe : celui de la richesse acquise grâce aux complots, aux manipulations et aux coups de poker.
4. Pourquoi travailler quand on peut séduire ?
Duroy est présenté comme un homme qui "s'est fait tout seul". La belle affaire ! Il ne doit rien à son travail ou à son intelligence. Il a simplement compris que le talent qui paie le plus, c'est celui de plaire aux bonnes personnes.
Son CV tient en une ligne :
✅ Séduire des femmes riches,
✅ S'installer chez elles,
✅ Passer à une plus riche encore.
Son seul vrai savoir-faire est celui d'un coucou : parasiter un nid avant d'aller squatter ailleurs. Et ça marche. À la fin du roman, il atteint le sommet en épousant la fille d'un grand homme d'affaires. Il n'a d'yeux ni pour elle, ni pour l'amour, mais uniquement pour le monde parisien qui l'acclame.
Maupassant nous montre ici le triomphe du superficiel.
5. Une conclusion sans morale (et c'est bien là le problème)
Duroy réussit. Il est riche, il est puissant. Il ne paie jamais pour ses manipulations, il ne chute pas comme une Nana.
Et c'est là que le roman me dérange. Rien ne punit Duroy. Il sort gagnant sur toute la ligne.
Résultat ? Bel-Ami a participé à renforcer un stéréotype bien ancré en France :
📌 S'enrichir, c'est forcément être un salaud.
Évidemment, il y a eu et il y aura toujours des fortunes bâties sur des méthodes douteuses. Mais ce roman alimente l'idée que toute réussite repose sur la manipulation. De quoi donner du grain à moudre aux discours anti-riches depuis plus d'un siècle.
Maupassant, lui, est un génie (et c'est déjà ça)
Heureusement, il y a un autre point à retenir : Bel-Ami est un roman magistral. Maupassant a un style tranchant, efficace, implacable. Il fait de son personnage un symbole absolu du cynisme social, et c'est ce qui rend le livre aussi marquant.
Mais après lecture, une question demeure : Et si Bel-Ami, et d'autres héros de son temps, avait façonnée notre rapport à l'argent et à la réussite ?
📌 Pour plus d'analyses financières de la littérature, suivez ce compte. À mes heures perdues, je m'y mets.
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